Henri HUSTAIX.
D'autres, avant moi, ont eu à traiter de l’histoire de l’Orphéon. D’une part, Lucien Cazanave, notre ancien directeur, en 1982, à l’occasion du Centenaire de notre bannière, et, d’autre part, Léon Morlaas-Tucannes. En 1952, le vice-président dût faire une mise au point dans le journal Sur-Ouest, pour défendre notre titre de « Chorale doyenne du département », titre que la Lyre Paloise prétendait posséder. C’est à ces deux sources, enrichies de données historiques dues à notre incomparable historien local Janla et de recherches plus personnelles, que j’ai puisé l’essentiel de mon propos. Dans le cadre du temps qui m’est imparti, je me limiterai à lever un peu le voile sur les origines de l’Orphéon et à évoquer « la belle époque », celle d’Elysée Coustère, et celle d’Al Cartero. Faisons un bon de 145 ans dans le passé. Nous sommes en 1855, la France vit la période florissante et expansionniste du Second Empire de Napoléon III. Salies compte 6700 habitants soit environ 1900 de plus qu’aujourd’hui. Elle a cependant perdu son rang de 3ème ville du département qu’elle détenait derrière Pau et Bayonne. Dans le village de Castagnède, « Lou païs de las castagnes », un heureux évènement s’est produit : un douzième enfant est né dans la commune. Ce 22 avril 1855, Jean Hustaix, laboureur, domicilié maison Salomon, vient déclarer devant Vincent Lestage, maire de Castagnède, la naissance de son fils François. (Document n°1 extrait de l’acte de naissance). Ouvrons ici une parenthèse pour répondre à une première interrogation. Y a-t-il un lien de parenté entre Jean et Ernest Hustaix ? Jean HUSTAIX n’est autre que l’arrière grand –père d’Ernest Hustaix, jeune et brillant directeur adjoint de Lucien Cazanave entre 1946 et 1951.Ernest Hustaix, sur l’initiative de ses amis Jean Labarthe, directeur de l’Ecole primaire, et Raymond Clavère directeur du Cours Complémentaire, forma une magnifique chorale, forte de 120 enfants des Ecoles publiques. Il la dirigea avec un tel charisme et un tel talent, qu’elle gagna le 1er prix départemental de l’année scolaire 1947/1948, en interprétant « Le Gave », devant une salle comble au Casino de Biarritz. Tous ceux, qui comme moi, y participèrent, en gardent encore un souvenir ému. Nous détenons une photographie de cette chorale d’enfants prise sur le perron d’entrée de l’établissement thermal. Hélas, Ernest disparut brutalement à 28 ans, et tous les espoirs que l’Orphéon fondait en lui s’effondrèrent. Fermons la parenthèse, revenons au 22 avril 1855 et à son aïeul: Jean. Il a choisi, comme témoins, deux amis très proches : Jean Touya, 39 ans, laboureur, et Denis Mage, 32 ans, instituteur, tous deux domiciliés à Castagnède. Seuls deux témoins ont signé l’acte, le père étant illettré, comme l’était à l’époque la moitié de la population. A l’instigation de Denis Mage, l’instituteur détenteur du savoir musical, s’est constitué, vers 1852, date approximative, un groupe de chanteurs. De nombreux jeunes salisiens en faisaient partie parmi lesquels Lucien Saubot dit « Lucien de Luc », grand-père de Lucien Cazanave. Ces jeunes salisiens, se rendaient, le soir, à pied, après une dure journée de travail, (ils étaient pour la plupart ouvriers ou paysans) au pied de la Pène de Mü, à l’école de Castagnède. A la lueur de chandelles de résine, ils prenaient leurs premières leçons de solfège et de chant choral. Grâce à des méthodes pédagogiques particulièrement adaptées, Denis Mage fait faire des progrès rapides à ses élèves qui sont presque tous illettrés. D’ A son retour de l’expédition française en Mer Noire à laquelle de jeunes salisiens participent, après le siège de Sébastopol qui met fin à la guerre de Crimée, Lucien Saubot rejoint Denis Mage. « La chorale les Enfants de Salies » prend alors véritablement corps en octobre 1858. Le règlement de ce chœur d’hommes enregistré à la préfecture de Pau le 22 octobre 1859. Une lettre de Denis Mage, première trace écrite, en fait foi. N’ayant pas trouvé trace de ce premier règlement dans les archives de notre association, j’ai effectué une recherche à la préfecture de Pau. Hélas, j’ai appris qu’en 1907, un incendie a ravagé les bâtiments et détruit tous les documents officiels nous concernant La qualité du groupe s’améliore et comporte jusqu’à 43 choristes. En 1860, la chorale obtient son premier prix au concours de Dax, mais les premières difficultés financières apparaissent. Sur ses propres deniers Mage a dépensé 200 Francs entre octobre 1858 et mai 1860. A titre de comparaison, l’instituteur communal le plus ancien de Salies (qui n’est autre que son frère) touche 600 Francs par an. Le 18 mai 60 Mage écrit donc une lettre au maire de Salies, Monsieur CouloumeDavant, dans laquelle il expose l’action éducative et culturelle qu’il mène au profit de la jeunesse et demande un soutien financier à la municipalité. Dans sa séance du 20 mai 1860, le Conseil Municipal, considérant que les ressources de la ville sont insuffisantes, refuse toute aide à la Chorale. Ce n’est que 4 ans plus tard, le 26 mai 1864, qu’une première subvention de 200 Francs est allouée par le Conseil municipal à la chorale et de 100 Francs à son directeur. A partir de cette date la chorale sera régulièrement subventionnée, avec plus ou moins de largesse, par les différentes municipalités. Les orphéonistes s’imposent une discipline rigoureuse, les répétitions sont obligatoires 2 fois par semaine, le jeudi et le samedi. L’appel est fait avec la plus grande rigueur, (document n°2 : liste d’appel de 1864): une croix pour une présence, une barre pour une absence excusée, »a » pour une absence non excusée immédiatement taxée d’une amende d’1 centime. Entre novembre 64 et mars 65, le décompte montre que la somme de 5 F 70 est ainsi récupérée. Elle permettra de remplir la « thiare », récipient contenant 15 l de rosé qui est traditionnellement dégusté à chaque fin de répétition. L’examen attentif du 3ème livre de comptabilité montre, qu’à l’époque, les orphéonistes entretenaient aussi des relations suivies avec les auberges, commerces de vin, hôtels de la ville à l’occasion du fameux « vin d’honneur » qui ponctue chacune de leurs prestations. De là à dire que dans chaque orphéoniste sommeillait un « Pintouné » voire un « chuquète », c’est évidemment une accusation contre laquelle je m’inscris vigoureusement en faux. Découvrons ensemble la liste des orphéonistes de 1864 ; Tous ces noms sont familiers à beaucoup de Salisiens, certains y découvriront probablement un aïeul. En 1865, la Chorale s’installe définitivement à Salies et Denis Mage cède sa place de directeur à Elysée Coustère. Pour nos amis curistes et invités de la Fête du sel, je rappellerai qu’Elysée Coustère, né en 1842, expert géomètre puis juge de paix, conseiller municipal, fut un maire de Salies très estimé entre 1888 et 1896.Mais parallèlement, il réorganise de main de maître l’association, et dépose un nouveau règlement officiel le 1er février 1867 de « La société chorale, Les enfants de Salies ». Ce règlement définit en 30 articles précis le fonctionnement et les règles de vie intérieure qui instaurent une discipline sévère (droits d’entrée- cotisations- amendes- exclusions- etc…) Le mot «Orphéon » ne figure pas dans ce règlement. C’est surprenant, alors que les orphéons ont été institutionnalisés par le ministre Guizot, qu’ils sont à la mode, bénéficiant même de leur propre presse, avec le journal l’Orphéon, et la France Orphéoniste. L’article 8 précise que la société est administrée par un comité composé : d’un directeur, un sous directeur, un trésorier, un secrétaire, 4 chefs d’attaque et 4 délégués. En fait le directeur a les pleins pouvoirs artistiques et administratifs. « Qu’éy lou meste ! » A l’époque, le chant choral est très pratiqué, les chorales d’hommes existent dans de nombreuses villes : Bayonne, Dax, Pau, Tarbes, Bagnères… possèdent des formations remarquables. C’est une époque glorieuse pour l’Orphéon de Salies qui collectionne premiers prix et médailles à Orthez en 1864, à Pau en 1865, à Biarritz en 1868, et au concours international de Saint Sébastien en 1886. Dans les années 1870, la station thermale est en plein essor, grâce notamment aux efforts des docteurs Charles Nogaret et Pierre Foix. De son côté, le Docteur Jean Brice de Coustalé Larroque, issu d’une famille salisienne (petit il vivait chez sa grand-mère à Salies, puis poursuivit ses études secondaires à Pau, fit sa médecine à Paris et devint médecin par quartier de Napoléon III.) Celui-ci, après avoir expérimenté, sur lui et sur son épouse, les bienfaits des eaux salées, fait la renommée de notre station thermale. A Paris, il entretient une clientèle riche et huppée dont il enverra une partie faire la cure à Salies. Mélomanes avertis, le Docteur et Madame de Coustalé Larroque, prénommée Joséphine, Napoléone (choix au combien courtisan), apprécient les concerts que donne l’Orphéon sur le premier kiosque à musique qui était situé derrière l’établissement actuel. En signe de reconnaissance et d’amitié, ils offrent à la chorale, une magnifique bannière en velours brun chatoyant. Celle ci porte en filigrane doré une Lyre dont les deux branches figurent une tête d’aigle (nouvel hommage à Napoléon) Elle porte les mentions : « 1882 l’Orphéon de Salies de Béarn. » Au fil des ans, elle s’est constellée de toutes les médailles gagnées dans les concours. Nous la conservons précieusement au siège, salle Cazanave. C’est probablement suite à la promulgation de la loi 1901 qui réglemente le fonctionnement des associations à but non lucratif, que l’Orphéon revoit ses statuts et procède à la nomination d’un président, poste qui revint tout naturellement à Elysée Coustère. Se croyant atteint par la limite d’âge, (ou pour une raison non élucidée) Elysée se retire. Trois présidents (M. Bellocq, Larbaigt, et Lacaze) traverseront alors, tels des météores, la voûte céleste orphéonique s’y consumant très rapidement au contact des difficultés. Elysée Coustère reprit alors la baguette, et comme par enchantement, les succès au concours de Pau(1907), Bayonne(1908) récompensèrent à nouveau l’Orphéon. Puis vint la première guerre mondiale, l’Orphéon tombe en sommeil, la moitié des membres étant partis au front. Le livre des comptes de l’époque prouve que l’Orphéon se montra très solidaire, vidant ses caisses pour délivrer des bons de colis aux familles des soldats Cet épisode douloureux montre, s’il le fallait, que l’Orphéon a toujours été viscéralement mêlé à la vie salisienne, dans les bons comme dans les mauvais moments. En 1919, la paix étant revenue, le patriarche charismatique a 77 ans, il cède la présidence à son fils le Docteur André Coustère, qui la lèguera lui-même à son fils, le Docteur Jean Coustère en 1976. Le nom de la famille Coustère restera indélébilement attaché à l’histoire de l’Orphéon. Revenons à la belle époque. Entre 1900 et 1925, l’Orphéon a le privilège de côtoyer le grand poète Al Cartero. Peut-être n’est-il pas inutile de rappeler qui est Al Cartero ? Léonce Lacoarret (alias Al Cartero, pseudonyme qu’il s’est donné en associant dans un ordre différent les lettres de son patronyme), est né à Brou, village d’Eure et Loir, en 1861, d’un père originaire d’Accous qui meurt à l’âge de 44 ans. La veuve, née Alice Molia, se réfugie à Salies dans la maison des parents, rue du Commerce (actuellement Rue Elysée Coustère), les Molia étant une famille de la haute bourgeoisie salisienne. Léonce fréquente l’école primaire religieuse, fait ses études secondaires au Lycée d’état de Pau, et poursuit des études supérieures à la Faculté de Bordeaux. Il s’installe à Toulouse ou il s’affirme comme un grand spécialiste de la laryngologie. Parallèlement, il construit une œuvre littéraire qui fait de lui l’un des plus grands poètes en langue béarnaise, à la réputation est comparable à celle de Mistral, célèbre félibre provençal, dont il devient d’ailleurs l’ami. Son œuvre comprend des recueils de poésies : Au païs berd, Pou biladye, L’escare-saq…Elles retracent avec beaucoup de fidélité et d’émotion la vie des ouvriers et paysans béarnais. Il est surtout connu en Béarn par ses pièces de théâtre. « Chuquète », drame en trois actes fut joué pour la première fois en 1923, quelques mois avant sa mort L’orphéon a toujours participé aux représentations de « Chuquète », pour y interpréter les chansons composées par l’auteur : « Lous Pintounés » , »Lous piquetalos » qui faisaient partie intégrantes de la pièce. Les orphéonistes les plus talentueux dans l’usage de la langue béarnaise tenaient les rôles principaux de ce drame de la boisson. La pièce fut produite pour la première fois à Paris en 1925, mais elle connut un immense succès dans tout le sud-ouest. Elle fut reprise à l’initiative de l’Orphéon à plusieurs reprises, notamment en 1984 et 1985, ou elle tint la rampe une vingtaine de fois. En 1991 c’est le théâtre St Louis de Pau qui accueille la troupe salisienne avec : Maurice Lagisquet (Lou cadet), Henri Poydomenge (Chuquète), Jean-Pierre Lauga (Yan), Jean Carresse (Chipe), Jean Lembezat (Padère) Jean Laborde (l’aubergiste), tous orphéonistes. Al Cartero écrivit aussi une comédie en quatre actes : »Las Campanes de Goarileü » qui n’obtint pas la même notoriété. Ce grand ciseleur de la langue « mayranne », excellent musicien de surcroît, avait deux amis : Jean Baptiste Saint-Guily, directeur de l’Orphéon et compositeur à ses heures, et l’abbé Larrouy. « Jausep Larrouy qu’ère meste de Capère à Tivoli de Bourdeü », maître de chapelle c’est à dire directeur de chœurs religieux à Bordeaux. Par sa complémentarité créatrice, ce trio engendra un répertoire de chansons salisiennes qui constitue une base intangible des programmes orphéoniques. J’ai répertorié 22 chansons dont les paroles dont les paroles ont été écrites par Al Cartero. Pour les quatre premières : Lous piquetalos – La Cante de l’Oubré (chansons de l’ouvrier) La chingarre (la ventrèche) – Lou maire de San Frico (le maire de San Frico) Al Cartero en a aussi écrit la musique. Lous piquetalos, écrite en 1903 et figurant dans Chuquète, est l’une des plus connues des chansons salisiennes. Elle chante la dure vie des ouvriers agricoles qui, du temps de la splendeur du vignoble salisien piochaient la vigne à la main de l’aube au crépuscule. Dans les quatre suivantes : Lous Saliès(Les salisiens) A noustes mourts (A nos morts chanté en 1922 pour la première fois pour l’inauguration du monument aux morts) Lou quinze (Le quinze) Prégary (Prière), Joseph Larrouy en écrivit la musique la plus connue reste : « Lous Saliès » véritable marseillaise salisienne. Jean- Baptiste Saint-Guily a composé la musique des 9 suivantes : Las Bielhotes (Les petites vielles) – Lou Boé (Le bouvier) – La Cante de las Campanes ( La chanson des Cloches) – La Cinte (La ceinture) – Lous Espardagnayres (Les sandaliers) – Habole (Les haricots) – Miguète (dans le genre mignonne allons voir si la rose) – La Cante dous pintounès (chanson à boire intégrée dans Chuquète) – La Salière ( à la gloire de Salies et de sa fontaine salée) – La cinte, (la ceinture, élément vestimentaire distinctif , en soie noire pour les plus riches, en laine rouge pour ceux de condition modeste. L’Orphéon porte la rouge car, ne l’oublions pas, l’Orphéon c’est le peuple il ne mourra jamais.
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